Procédé d'inversion de négatif papier

Ou comment je me suis retrouvé à faire l’apprenti chimiste pour expérimenter un procédé photo à moitié foireux...

 

Test #1 - inversion négatif papier - Wittner - White Fall Lab

 

Pendant les dernières vacances de Noel, je suis tombé par hasard sur les vidéos de Joe Van Cleave en surfant sur une vague youtube de thématiques un peu fofolles comme les spot mètres ou le calcul de sensibilité du papier photo. Mr Van Cleave, outre ses passages en revues de vielles machines à écrire se passionne aussi pour la photographie alternative. Il poste généralement des vidéos de ses expérimentations sans distinction de qualité du résultat et aime à détailler tout ses faits et gestes - prévoir entre 20 et 30 minutes par vidéo. Un aubaine pour ceux qui comprennent vite mais avec de longues explications. D’un autre côté, ses vidéos sur le procédé d’inversion de négatif papier donnent un bon aperçu de la patience nécéssaire à la réalisation du procédé. (plus de 4 heures à écouter Joe parler)

 

Test #1 - inversion négatif papier - Wittner - White Fall LabSet up d'éclairage DIY à la lampe de chantier

 

Mais quel est donc ce mystérieux procédé au nom à rallonge, me demanderez-vous ? Pour faire très court, le principe est de créer une sorte de polaroid noir et blanc en se compliquant un maximum la vie. Mais quelle aventure que de décortiquer une technique si fastidieuse et aux résultats si aléatoires que l’Histoire de la photographie a préféré laisser dans l’ombre comme ce parent éloigné un peu louche dont personne ne regrette l’absence aux réunions de famille… 

Je dirais que l’intérêt premier réside dans la création d'un objet photographique unique sans possibilité de reproduction comme avec un négatif - film ou du papier. Un peu comme un polaroid oui, on y revient...

Piqué sur le vif et hypnotisé par les paroles de Joe, j’ai couvert quelques pages de notes afin d’essayer à mon tour de faire apparaitre une image positive sur du papier négatif directement au sortir de l’appareil photo. Fort de l’expérience de Mr Van Cleave, je suis allé directement à la recette qui semblait avoir le mieux fonctionner pour lui. 

 
Test #1 - Inversion Négatif Papier - Wittner - White Fall LAb

 

Pour arriver à ce fameux objet photographique unique, commençons par charger du papier photo à la place de la pellicule. Dans mon cas, j’ai coupé du papier N&B Ilford Multigrade au format 4x5 pouces que j’ai chargé dans les châssis destinés aux plans film. La prise de vue se déroule de manière assez standard avec une chambre 4x5 avec pour seul particularité la sensibilité remarquablement basse du papier photo (comptez 1,6 à 3 ISO pour vous donner une idée)

 

Test #1 - Inversion Négatif Papier - Wittner - White Fall LAb

 

Une fois la photo dans la boite, direction le labo ou l’on commence par développer le papier. D’expérience avec le négatif papier, j’utilise du révélateur pour film qui à tendance à décontraster un peu le négatif et à rendre plus de matière dans les hautes et basses lumières, dans le cas présent du Kodak D76. Pour ce premier essai je n’ai pas pris le soin de préflasher (si quelques connaisseurs viendraient à se poser la question). 

C’est après cette étape qu’on s'écarte de la procédure standard du développement du tirage. Après un rinçage à l’eau, le papier affichant le sujet en négatif est plongé une trentaine de seconde dans un bain d’acide citrique avant de sauter sans transition dans la bassine suivante contenant une solution d’eau oxygénée diluée à 9%. Je ne sais pas si vous vous êtes déjà penchés sur les méthodes pour obtenir une dilution voulue (ici 9%) à partir d’une dilution donnée (une base de peroxyde d’hydrogène à 35%) mais même avec l’aide la fille de la prof de math qu’est ma compagne, je me suis bien fais fumer les méninges.

L’opération est répétée une seconde fois. On peut alors observer l’image négative progressivement disparaitre sous l’effet de ce qu’on appelle un blanchiment. On se retrouve alors à nouveau avec une feuille blanche, retour à la case départ. Sauf que les apparences sont trompeuses et que la structure chimique du papier en est encore toute bouleversée! Passionnant non? 

 

Test #1 - Inversion Négatif Papier - Wittner - White Fall LAb

 

Test #1 - Inversion Négatif Papier - Wittner - White Fall LAb
Test d'exposition avec un négatif papier classique

 

Pour les plus curieux, je vais rapidement faire le point sur ce qui s’est passé sans que personne ne s’en aperçoive à part les mecs qui fabriquent des films et du papier photo et aussi les mecs qui bossent dans les labos photo, parce qu’eux ils sont super calés en chimie. Moi non, alors ça m’émerveille vous comprenez?

Le papier photo est recouvert d’une émulsion, un mélange de gélatine et de cristaux d’halogénure d’argent. Cette émulsion réagit à la quantité de lumière à laquelle elle est exposée, donnant les nuances qui vont composer l’image. En révélant le papier, les cristaux exposés vont s’oxyder et noircir en quantité proportionnelle à la dose de lumière qui les a secoué. Jusqu’ici tou va bien. Mais avec le blanchiment, tous les cristaux oxydés sont lavés, le papier redevient donc blanc. Mais quid des cristaux d’halogénure qui n’ont pas été exposés, et bien ceux là passent à travers les mailles du blanchiment sans demander leur reste, ils sont toujours là et ne la ramène pas trop. Enfin pour l’instant.

Mais ensuite me demanderez-vous frétillants d’impatience? Ensuite on rince un coup et on expose le papier à la lumière, histoire de cramer ce qu’il reste d’halogénure d’argent intact dans la couche de gélatine. Oui, oui, tous les planqués qui sont restés bien à l'abri lors du premier bain de révélateur parce pas exposés lors de la prise du vue, paf, tous exposés d’un coup. Alors imaginez leurs têtes quand on les plongent dans du révélateur? Ils s’oxydent tous autant qu’ils sont oui, tous sauf les cristaux déjà blanchis qui pour leur part ont perdu toute sensibilité pendant le bain précédent. C'est à ce moment là que la magie opère et que l’image positive apparait. Sous exposée...

 

Test #1 - Inversion Négatif Papier - Wittner - White Fall LabEssais N°1 et 2

 

Oui, en effet, il semblerait que le procédé baisse encore un poil la sensibilité du papier d’au moins un stop. 

Me voilà donc à reprendre mon affaire du début en doublant mon temps de pose. Toujours un poil sombre mais teinté d'un sépia dont j’ignore toujours encore l’origine. Peut-être que mon bain d’eau oxygéné est trop dilué, ce bon vieux Joe avait lui aussi alterné une solution à 9% et 15%. Il se fait tard, le résultat avec l’eau oxygénée à 15% n'est pas beaucoup plus clair mais n'a plus cette teinte jaunâtre, je m’en satisfais et m’en vais me coucher.

 

Test #1 - Inversion Négatif Papier - Wittner - White Fall Lab

 

Mais mon sommeil est agité par trop de questions, de zones d’ombres ou de zones pas assez blanchies. Pourquoi mon fond blanc semblait gris et vignetté, d’où pouvait bien provenir cette étrange texture dans les hautes lumières, est-ce que je n’avais pas mieux à faire de mes soirées?

Après de longues insomnies et d’interminables réflexions, j'en suis arrivé aux conclusions suivantes : Mon blanchiment devait être foireux, il manquait un truc et non, après des mois de couvre feu je n’avais pas mieux à faire de mes soirées. Il s’est tout de même passé plusieurs mois avant que je ne renouvelle l’expérience en modifiant quelques paramètres mais cet article est déjà bien assez long comme ça.

 

Test #1 - Inversion Négatif Papier - Wittner - White Fall Lab

 

La suite au prochain compte rendu.

3 commentaires

  • Merci pour toutes ces expérimentations. Une question que je me pose et qui est d’ailleurs posée sur une des vidéos de Joe Van Cleave est la comparaison entre ce procédé d’inversion directe et le tirage inversion par contact. Ce dernier n’est-il pas plus facile et moins risqué pour l’original?

    Dusart
  • C’est passionnant ! Et inspirant ! Et bien écrit.
    Débutant dans la prise de vue à la chambre, j’aime le rendu de vos négatifs papiers chimiquement “positivés”. C’est vraiment très beau.
    Merci pour ce partage d’expérience. :o)
    Chaleureusement,
    Benjamin

    Benjamin
  • Merci beaucoup, j’ai éviter quatre heures de vidéo.

    Christophe

Laisser un commentaire

Veuillez noter que les commentaires doivent être approuvés avant d'être publiés